A la différence de l’immigration française en Afrique du Nord, qui fut liée à l’aventure coloniale, laprésence italienne en Tunisie, tout comme celle des populations juives, fait partie intégrante de lalongue histoire de la Régence de Tunis.
Au cours des siècles, cette présence a illustré cette diversité et ce brassage culturels qui font l’une desoriginalités du passé de la Tunisie. Et tout comme pour les Juifs, après l’indépendance marquée par leseffets d’un nationalisme hégémonique, cette présence italienne a pratiquement disparu à la fin desannées 1960.
Une grande proximité géographique Géographiquement, la Tunisie est une tête de pont de l’Afrique vers l’Europe, et l’Italie en marque le seuil.
En effet 70 km à peine séparent du Cap Bon les îles siciliennes de Pantelleria. L’histoire est jalonnée de boat people de la misère abordant les rivages tunisiens à partir de Pantelleria. Dès le XVème - XVIème siècle, on note la présence à la cour beylicale d’anciens esclaves italiens affranchis dont certains occuperont de hautes fonctions, en particulier dans le commandement de la Marine.
Les Génois, dès le XVIème siècle, venaient pêcher le corail sur la côte Nord et disposaient d’un fort à Tabarka. Dès la fin du XVIème siècle, des commerçants juifs venus de Livourne en Toscane viennent s’établir en Tunisie et fondent la communauté juive livournaise dite encore portugaise : ce sont les Grana, (Ligorno, Gorni, Grana). De nouveaux flux de migrants juifs livournais continueront d’arriver aux XVIIIème et XIXème siècles.
Les Grana restent à part de la communauté juive des Townsa ; cette ségrégation durable pendant des siècles est un exemple unique dans le bassin méditerranéen.
Aux XVIIIème et XIXème siècles, venant de Palerme, Trapani, Agrigente…les Italiens s’installent à la Goulette (la goletta), à l’entrée de Tunis et y développent des activités maritimes et de pêche. La première école italienne est fondée en 1823. Au XIXème siècle, la colonie italienne déjà notable se compose de journaliers, artisans, maçons, pêcheurs, commerçants. On notera également la présence de Sardes dans les mines. La Tunisie se trouvera associée aux luttes pour l’Unité italienne ; de nombreux patriotes exilés feront souche dans la colonie italienne. En 1858 Mazzini, à partir de stocks de munitions réunies à Tunis, prépare une expédition vers la Sicile qui n’aura jamais lieu. Garibaldi se réfugiera à Tunis.
1870-1880 : la Tunisie deviendra- t- elle une colonie italienne ? A peine l’Unité acquise, l’Italie rêve de coloniser la Tunisie où la communauté italienne compte environ 25000 personnes. En 1868, l’Italie signe avec le Bey un traité qui lui garantit un privilège d’extraterritorialité : les Italiens ne sont pas soumis à la juridiction tunisienne, ils conservent leur nationalité, sont libres de commercer et d’acquérir des biens immobiliers.
La France s’inquiète, et par consuls interposés - Roustan contre Maccio - c’est la guerre. De haute lutte, Maccio obtiendra le rachat de la concession de la ligne Tunis-Goulette (le futur TGM). Profitant de l’incapacité du Bey à empêcher des incursions-razzias en Algérie, Jules Ferry décide d’une campagne militaire pour couper l’herbe sous les pieds aux Italiens, et le traité du Bardo (12 mai 1881) établit le Protectorat français : Roustan en est le premier Résident général.
Les Italiens sous le Protectorat français? Les Italiens sont humiliés (la gifle), la France par la Convention du 28 septembre 1896 reconnaît des droits à la communauté italienne : celui de conserver leur nationalité, leurs 18 écoles, leurs journaux, leurs associations culturelles, l’hôpital Garibaldi (Halfaouine). Commence alors pour les Italiens une période difficile de tracasseries de la part des autorités coloniales, car la France supporte mal leur importance. En 1921 il y a en Tunisie 85000 Italiens pour 5000 Français. Au fil des ans des décrets viendront restreindre les droits et privilèges accordés par la Convention de 1896. Les agriculteurs italiens, surtout vignerons, ont alors de très petites propriétés et des conditions de travail bien plus difficiles que celles réservées aux colons français qui accaparent les meilleures terres. Les Italiens sont aussi journaliers (parfois dans les domaines coloniaux français), ouvriers, employés, artisans, commerçants, pêcheurs, entrepreneurs de maçonnerie et de travaux publics…En 1926, ils sont 100 000 ; en 1938 (selon les sources françaises ou italiennes), ils sont entre 130 000 et 190 000. Avec l’avènement de Mussolini, l’Italie se met à rêver d’arracher la Tunisie à la France. Rêve de grandeur : reconquérir Carthage ! Période d’effervescence où les Italiens de Tunisie, y compris une partie des Juifs livournais, renoncent à la tentation de se faire naturaliser français et se montrent hypernationalistes italiens. Puis en 1945, c’est la débâcle, tous les privilèges des Italiens sont abrogés (écoles, hôpital…). Les biens des fascistes notoires font l’objet de séquestres ; beaucoup d’Italiens émigrent alors ou deviennent français.
Brutal retournement, au recensement de 1946 : 70 000 Italiens, 150 000 Français. Au moment de l’Indépendance, en 1956, ils sont 66 000, ils ne sont plus que 33 000 en 1962. Aujourd’hui, de l’ancienne colonie italienne, il ne reste pas 1000 personnes. En guise de bilan Destin tragique que celui de ces Italiens qui vont devoir quitter ce qu’ils considèrent comme leur pays natal, qui n’ont pas été les colonisateurs, et qui ont souffert de la puissance coloniale. Ils auront beaucoup apporté à la Tunisie par leur travail, leur génie ; ils se seront bien assimilés à la population autochtone comme en atteste l’importance des mariages mixtes dans les milieux populaires. Leur exil au lendemain de l’Indépendance tunisienne s’opèrera vers l’Italie pour une minorité, beaucoup vers la France, quelques-uns vers les USA, lesquels avaient déjà attiré, dans la première partie du XXème siècle, certains vignerons ruinés partis tenter leur chance Outre-Atlantique.
Souvenirs de cette présence italienne : la procession de la Vierge Marie des Siciliens de la Goulette pour le 15 août ; la gouaille populaire et l’inimitable sabir sicilo-arabe de certains quartiers populaires de Tunis,