Louis Etienne Félicité Salomon, President d'Haiti

LE PRÉSIDENT SALOMON

M. le général Salomon, ex-président de la République d'Haïti, vient de mourir à Paris. Quelque opinion qu'on ait eue sur les actes qui se sont accomplis pendant son passage aux affaires dans son pays, il convient, croyons-nous, de s'incliner devant le cercueil de cet homme, dont l'existence ne fut pas sans grandeur. M. Salomon passait, à bon droit, pour un des hommes les plus intelligents d'Haïti ; on lui reconnaissait, en outre, une énergie peu commune. Il prit une part active aux luttes des partis qui, depuis une quarantaine d'années, se sont disputé le pouvoir dans cette jeune République ; et comme tous les hommes que leur destinée a attachés à un pareil rôle, il fut tour à tour conspué et glorifié. Après avoir été le principal ministre du gouvernement de Soulouque, il paya d'un long exil sa participation à cette parodie impériale ; mais il serait injuste de ne pas reconnaître qu'il valait, personnellement, beaucoup mieux que le régime qu'il avait consenti à servir. Aussi, pendant les cours des différentes présidences qui se sont succédé en Haïti depuis la chute de Soulouque, ses compatriotes eurent-ils constamment les yeux sur lui comme sur l'homme à qui devait, tôt ou tard, incomber la charge de gouverner Haïti.

Un jour vint où, à la suite d'un de ces bouleversements trop fréquents dans la grande île, il fut élu président de la République. Il s'imposa dès lors la tâche de fermer l'ère des Révolutions. Ses efforts parurent, pendant un temps, couronnés de succès ; on peut du moins l'admettre, puisqu'à la.fin de sa première magistrature, il fut régulièrement réélu président. Mais des mécontentements s'étaient accumulés autour de lui; il y résista d'abord; des mouvements insurrectionnels se produisirent; il les écrasa avec une telle rigueur que des protestations indignées s'élevèrent de tous les cotés contre lui. Néanmoins, l'ordre était rétabli, et il considérait que c'était le premier besoin de son pays. La force lui manqua pour résister à une dernière tentative insurrectionnelle, et soit qu'il n'eût plus en lui même et en sa cause la même foi que par le passé, soit que l'âge eût paralysé sa vigueur première, il aima mieux laisser le pouvoir à ceux qui le lui disputaient, que d'accepter encore une fois la responsabilité du sang à répandre. On se souvient des circonstances récentes dans lesquelles il abandonnait Haïti et vint, encore une fois, réclamer l'hospitalité de la France. Mais l'exil est toujours l'exil, même quand il est subi en France; c'est une chose douloureuse pour quiconque a porté, ne fut-ce qu'un jour, le poids des affaires publiques dans son pays "De descendre et monter par l'escalier d'autrui ".

Ce vieillard ne pouvait plus supporter une existence sans espoir. Ce qui l'a véritablement tué, ce n'est pas la maladie dont il a été atteint ces temps derniers, c'est l'effondrement de son parti en Haïti, et c'est le manque d'air natal. On le jugera comme on voudra, nous trouvons, quant à nous, qu'il y a, dans la vie, et surtout dans les derniers jours de ce proscrit, quelque chose qui mérite le respect. Article paru dans : La Liberté coloniale / président Isaac ; rédacteur en chef Irénée Blanc, du 23/10/1888 Sources : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62329697/f2.item.r=Salomon%20...

LE PRÉSIDENT SALOMON

M. le général Salomon, ex-président de la République d'Haïti, vient de mourir à Paris. Quelque opinion qu'on ait eue sur les actes qui se sont accomplis pendant son passage aux affaires dans son pays, il convient, croyons-nous, de s'incliner devant le cercueil de cet homme, dont l'existence ne fut pas sans grandeur. M. Salomon passait, à bon droit, pour un des hommes les plus intelligents d'Haïti ; on lui reconnaissait, en outre, une énergie peu commune. Il prit une part active aux luttes des partis qui, depuis une quarantaine d'années, se sont disputé le pouvoir dans cette jeune République ; et comme tous les hommes que leur destinée a attachés à un pareil rôle, il fut tour à tour conspué et glorifié. Après avoir été le principal ministre du gouvernement de Soulouque, il paya d'un long exil sa participation à cette parodie impériale ; mais il serait injuste de ne pas reconnaître qu'il valait, personnellement, beaucoup mieux que le régime qu'il avait consenti à servir. Aussi, pendant les cours des différentes présidences qui se sont succédé en Haïti depuis la chute de Soulouque, ses compatriotes eurent-ils constamment les yeux sur lui comme sur l'homme à qui devait, tôt ou tard, incomber la charge de gouverner Haïti.

Un jour vint où, à la suite d'un de ces bouleversements trop fréquents dans la grande île, il fut élu président de la République. Il s'imposa dès lors la tâche de fermer l'ère des Révolutions. Ses efforts parurent, pendant un temps, couronnés de succès ; on peut du moins l'admettre, puisqu'à la.fin de sa première magistrature, il fut régulièrement réélu président. Mais des mécontentements s'étaient accumulés autour de lui; il y résista d'abord; des mouvements insurrectionnels se produisirent; il les écrasa avec une telle rigueur que des protestations indignées s'élevèrent de tous les cotés contre lui. Néanmoins, l'ordre était rétabli, et il considérait que c'était le premier besoin de son pays. La force lui manqua pour résister à une dernière tentative insurrectionnelle, et soit qu'il n'eût plus en lui même et en sa cause la même foi que par le passé, soit que l'âge eût paralysé sa vigueur première, il aima mieux laisser le pouvoir à ceux qui le lui disputaient, que d'accepter encore une fois la responsabilité du sang à répandre. On se souvient des circonstances récentes dans lesquelles il abandonnait Haïti et vint, encore une fois, réclamer l'hospitalité de la France. Mais l'exil est toujours l'exil, même quand il est subi en France; c'est une chose douloureuse pour quiconque a porté, ne fut-ce qu'un jour, le poids des affaires publiques dans son pays "De descendre et monter par l'escalier d'autrui ".

Ce vieillard ne pouvait plus supporter une existence sans espoir. Ce qui l'a véritablement tué, ce n'est pas la maladie dont il a été atteint ces temps derniers, c'est l'effondrement de son parti en Haïti, et c'est le manque d'air natal. On le jugera comme on voudra, nous trouvons, quant à nous, qu'il y a, dans la vie, et surtout dans les derniers jours de ce proscrit, quelque chose qui mérite le respect.

Article paru dans : La Liberté coloniale / président Isaac ; rédacteur en chef Irénée Blanc, du 23/10/1888 Sources : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62329697/f2.item.r=Salomon%20...